Un Africain utilise 45 à 50% moins d'énergie qu'un Américain
23 juin 2014
Financial Afrik
Aliko Dangote compte investir 9 milliards dans une raffinerie de pétrole au Nigeria. Une nouvelle encourageante dans cette Afrique qui clame de plus en plus son besoin de s'enrichir de ses richesses.
Pour discuter de divers enjeux pouvant entourer ce type d'opérations, rencontre avec Guy Gweth, fon dateur de Knowdys, n°1 du conseil en intelligence économique et due diligence en Afrique centrale et de l'Ouest.
Serge Tchaha : A-t-on une idée générale de ce que pèse l'industrie de la raffinerie du pétrole dans le monde ?
Guy Gweth : Si je prends pour point de référence les chiffres de l'année 2011, je vous dirai qu'au quatrième trimestre 2013, les capacités de raffinage dans le monde pesaient près de 100 millions de barils par jour. C'est avec ce volume que l'industrie de la raffinerie répond à une demande mondiale de 40 % pour les carburants, 40 % pour le fioul et le gazole, et 20 % pour les produits lourds.
Quels sont les pays ou entreprises qui sont leaders dans ce domaine ?
En nous basant sur le cr itère de la répartition géographique, le bloc Asie-Pacifique arrive en tête avec près de 30 millions de barils traités par jour. Ensuite vient le groupe Europe-Eurasie avec 25 millions de barils, suivi de l'Amérique du Nord avec 20 millions de barils quotidiens. Suivant cette répartition, l'Afrique ne traite que 3,5 millions de barils par jour.
Alors que la première unité de distillation continue de pétrole brut a été construite en 1910 par l'Américaine Power Specialty Company, les pays les plus dynamiques en 2014 se trouvent dans le bloc dit des « Grands Emergents » avec notamment le Brésil et la Chine. Côté entreprises, vous avez des compagnies telles qu'Esso, Foster Wheeler, Inéos, KBR, Lummus, Pétroplus, Lyonde ll Basell, Total, Technip, Heurtey-Petrochem, pour ne citer que les dix qui me viennent à l'esprit.
En Afrique, plusieurs pays sont producteurs de pétrole mais très peu raffinent leur pétrole. Est-ce une situation spécifique à ce continent ?
Au moment où je vous parle, la base des données économiques de Knowdys recense 47 raffineries sur le continent africain. Cela nous donne une moyenne supérieure à une raffinerie par pays producteur. En réalité, le débat est moins dans la quantité que dans la qualité des raffineries existantes.
Les spécialistes de l'intelligence économique qui anlysent la situation des raffineries africaines sont frappés par deux choses. La première c'est qu'elles sont de petite taille et dépassées. Avec une moyenne d'âge de 28 ans, nos infrastructures de raffinage sont inadaptées à une marché aussi exigent, évolutif que concurrentiel.
C'est l'une des principales leçons tirées des échecs des raffineries de Dar Es Salam, Maputo, Monrovia et Nouadhibou. La deuxième chose, c'est qu'elles sont assez peu entretenues, faute de moyens suffisants. Ce facteur écourte l'espérance de vie d'au moins 30% d'être-elles. L'exemple le plus emblématique reste celui de la raffinerie de Lomé qui démarra ses activités en 1977 pour arrêter de fonctionner l'année suivante. Cette situation est propre aux pays en développement.
Pensez-vous que cette décision de Dangote fasse des émules sur le continent africain ?
L'expérience nous apprend qu'une saine émulation est toujours bénéfique à la compétitivité de l'économie. Il faut cependant rester lucide. Ici, c'est l'homme le plus riche d'Afrique qui va investir entre 9 et 10 milliards USD dans la première puissance économique et pétrolière d'Afrique.
A titre de comparaison, la raffinerie de Ras Tanura en Arabie Saoudite, d'une capacité de raffinage de 400 000 barils/jour, a coûté à peu près le même montant au duo Saudi Aramco et Total. Cela étant, je suis incapable de d'indiquer, avec précision, si l'aventure de Dangote dans la raffinerie de pétrole servira de modèle aux femmes et hommes d'affaires africains.
En revanche, je peux vous dire, avec exactitude, qu'avec un Dangote par pays producteur, et un peu de volonté politique, l'Afrique peut atteindre l'indépendance énergétique en 2025.
Sur le plan économique et stratégique, quelles conséquences pour le Nigeria et l'Afrique ?
Premier producteur africain d'or noir, avec ¼ de la production totale du continent, le Nigeria va considérablement réduire la facture de ses importations en produits pétroliers. Le montant reste à définir car il intègre plusieurs paramètres.
Mais, vous savez, le problème du Nigeria, comme de l'Afrique plus généralement, ne tient pas dans l'absence d'infrastructures de raffinage. Loin s'en faut. Les raffineries actives actuellement sur le sol nigérian suffiraient à combler les besoins du pays. Le problème est qu'elles fonctionnent à 25% de leurs capacités !
Savez-vous si des projets similaires se dessinent dans d'autres pays ?
Les projets de la taille de celui engagé par Dangote sont lourds et rares. Mais il est intéressant d'observer les pépites qui tentent de défier les contraintes économiques pour s'imposer dans des environnements souvent hostiles. Je pense notamment aux raffineries du Niger et du Tchad construites avec l'aide des pétroliers chinois.
A côté, vous avez de formidables aventures comme celle du reformeur de la SONARA au Cameroun. Regardez ce que font les Sud-Africains avec le programme Clean Fuels pour la désulfuration et l'isomérisation des carburants dans les raffineries.
Faites un tour à la SONATRAC pour admirer les projets de désulfuration, d'isomérisation et de reformage. Tous ces projets trahissent une certaine prise de conscience. Gardons en mémoire que la demande en produits pétroliers va doubler en Afrique d'ici 2025.
Dans cette volonté manifestée par les Africains de créer de la valeur ajoutée chez eux, quelle importance accordez-vous à la création de l'Institut du Pétrole et du Gaz de Port-Gentil ?
Avec 10% des réserves mondiales, l'Afrique qui consomme moins de 5% de la demande mondiale reste essentiellement exportatrice de produits bruts. Ce constat, par mi les plus insupportables, fait partie du diagnostic qui a donné naissance au projet « Gabon Émergent ». Cher au Président Ali Bongo Ondimba, l'Institut du Pétrole et du Gaz de Port-Gentil est la matérialisation concrète d'une vraie réponse à un vrai besoin.
Que faudrait-il faire pour que davantage d'Africains soient investis dans la chaîne de valeur supérieure de l'industrie pétrolière ?
Il faut se réveiller ! Je ne vois pas d'autre issue. L'industrie mondiale de la raffinerie fait face à des défis financiers et écologiques colossaux au moment où notre continent a besoin d'énergie. Il faut se positionner ! A la fin du premier trimestre 2014, un Africain utilisait 45 à 50% moins d'énergie qu'un Américain, d'après nos estimations.
Songez qu'en 2020, lorsqu'un habitant sur 5 vivra sur le continent, l'Afrique affichera une demande de l'ordre de 4,4 à 4,6 millions de barils au compteur, selon les sources. Il faut agir ! Car sauf miracle, ce besoin en pétrole sera couvert par les importations.
C'est dire à quel point il est urgent de développer des infrastructures performantes. Sinon, l'Afrique accusera un retard fatal. Et ce retard étranglera la belle envolée économique que connait le continent depuis une dizaine d'années.
Catégorie: Energie