Aérien : les aéroports africains décollent-ils?
18 octobre 2013
Jeune Afrique
Sur le continent, le trafic devrait tripler d'ici à 2029. Mais si les aménagements aéroportuaires ne suivent pas l'évolution de la demande, cette croissance risque d'être fauchée en plein vol.
L'aéroport de Nairobi, le premier d'Afrique de l'Est, avec 6,3 millions de passagers en 2012, est devenu un rouage incontournable de l'économie nationale. Depuis ce hub, Kenya Airways relie directement 60 destinations dans le monde.
Et pas moins de 20 autres transporteurs aériens desservent l'aéroport. Le 7 août, une partie du site a brûlé accidentellement. Les images impressionnantes des flammes dévora nt le hall d'arrivée des passagers ont fait les unes de la presse.
Aucune victime n'a été à déplorer et le trafic n'a été interrompu qu'une journée. Mais la compagnie nationale estime ses pertes à 2,9 millions d'euros. Seul effet positif, le projet d'agrandissement du terminal 1, en sommeil Cliquez sur l'image.
Cet incident majeur montre l'importance des aéroports pour les économies africaines. Il souligne surtout plusieurs de leurs points faibles, notamment leur niveau de sécurité médiocre et leur mauvaise connexion avec les centres-villes. "La protection civile, dépendante de l'État, constitue la première fragilité des aéroports africains.
D'après un audit effectué récemment, en moyenne, seulement 60 % des no rmes de sécurité de l'Organisation de l'aviation civile internationale (Oaci) sont appliquées, même s'il y a de bons élèves comme le Ghana ou le Maroc", regrette Ali Tounsi, secrétaire général pour l'Afrique du Conseil international des aéroports (ACI).
"Lors de l'incendie de Nairobi, les pompiers ont été bloqués dans les embouteillages. Ils ont mis près de deux heures pour parcourir 15 km. Les dégâts auraient été bien moindres s'ils étaient intervenus plus rapidement", estime-t-il. Pour changer la donne, l'ACI, appuyé par ses 1 700 membres, mène depuis deux ans un programme gratuit d'évaluation effectué par des experts. Il a déjà été déployé dans vingt aéroports africains.
Retards
Sur le continent, comme au Kenya, le nombre de passagers transportés est en forte hausse. D'ici à 2029, l'ACI prévoit un triplement du trafic aérien. Les constructeurs s'attendent à vendre 1 000 avions supplémentaires aux seules compagnies africaines. Mais les opérateurs aéroportuaires peinent à suivre.
"Pour répondre à cette demande, les chantiers d'extension et de construction de nouveaux aéroports se multiplient, notamment à Nairobi, Addis-Abeba, Luanda, Lagos, Kigali, Dakar et Accra. Certains d'entre eux ont été achevés, comme à Brazzaville et à Maputo, mais dans la plupart des cas ils sont en retard, en raison d'une mauvaise planification des travaux ou de financements adéquats", observe Elijah Chingosho, secrét aire général de l'Association des compagnies aériennes africaines (Afraa).
L'exemple de l'aéroport Blaise-Diagne de Dakar, censé remplacer l'ancien (Léopold-Sédar-Senghor), est à ce titre emblématique. Son ouverture, annoncée pour 2011, n'a Cliquez sur l'image.
toujours pas eu lieu (lire encadré). Mêmes atermoiements à Ouagadougou, où le nouvel aéroport, qui doit s'élever à Donsin, à 30 km de la capitale, en est au stade de projet depuis plus de dix ans. "Initialement, nous envisagions de prendre en main sa gestion.
Mais compte tenu de son coût [349 millions d'euros], les études de prévisions de trafic ne nous ont pas convaincus", indique un opérateur aéroportuaire privé, dubitatif sur les 30 million s de passagers annuels annoncés.
"Bien sûr, de nouvelles infrastructures sont nécessaires, mais attention à la folie des grandeurs. Plutôt que de fermer un aéroport historique et d'en ouvrir un autre loin du centre-ville, il est souvent plus judicieux de le conserver et de laisser la nouvelle aérogare prendre de l'ampleur", indique Ali Tounsi.
Vache à lait
La petite taille des aéroports africains ne joue pas en leur faveur auprès des investisseurs : "84 % d'entre eux drainent un trafic inférieur à 1 million de passagers, alors que cette proportion est de 58,7 % en moyenne dans le reste du monde. À eux trois, les aéroports américains de Dallas, Chicago et New York pèsent plus que l'ensemble des 250 aéroports africains", affirme Ali Tounsi.
Casablanca au coeur de la stratégie de la RAM : 3 questions à Reda el Filali
Reda El Filali est directeur des opérations au sol et cargo de Royal Air Maroc.
Jeune Afrique : Comment s'est construit votre hub ?
Reda El Filali : Depuis le début des années 2000, son développement rapide est au coeur de notre stratégie. Nous nous sommes appuyés sur la position géographique idéale de Casablanca, entre Europe et Afrique.
Pour construire une plateforme, il faut au minimum 15 vols quotidiens au départ ou à destination de l'aéroport. En 2003, nous avons donc multiplié les liaisons avec l'Afrique de l'Ouest pour les coupler à nos vols européens existants, notamment ceux qui desservent la France, l'Italie et l'Espagne. À Casablanca aujourd'hui, R oyal Air Maroc gère la moitié environ des 7,1 millions de personnes qui y passent chaque année.
Quelle part de votre trafic passager ne fait que transiter par Casablanca ?
Pour qu'un hub soit une réussite économique, il est vital qu'une partie importante de son trafic soit de "point à point" [sans correspondance]. Environ 55 % des passagers de Royal Air Maroc ne font que passer par Casablanca, mais 45 % s'y rendent ou en partent.
Cette répartition équilibrée a été atteinte grâce à la taille [plus de 3 millions d'habitants] et à l'attractivité de la capitale économique, ainsi qu'aux allées et venues des Marocains résidant à l'étranger et des touristes.
Quelles relations Royal Air Maroc a-t-elle tissées avec le ge stionnaire de l'aéroport ?
Nous dialoguons en permanence avec l'Office national des aéroports [Onda] et sommes ses premiers utilisateurs. Mais aujourd'hui, nous sommes bridés par la taille et les fonctionnalités de l'aéroport. Il nous faut de meilleures technologies pour gérer les bagages, et davantage d'accès à bord directs. Plus de 50 % de nos accès se font en bus. Il nous faut plus de passerelles. Nous avons besoin d'une extension.
Propos recueillis par Christophe Le Bec.
Si nombre de projets aéroportuaires patinent, c'est donc souvent parce qu'ils n'ont pas trouvé de mode de financement et de gestion suffisamment attractif pour des acteurs privés. "Les aéroports africains sont dans leur grande majorité gérés par des organismes publics, en g&ea cute;néral l'aviation civile ou le ministère des Transports.
Or l'implication de professionnels privés efficaces est cruciale pour améliorer la qualité du service dans ces structures et pour réussir leur développement", estime Elijah Chingosho. L'interventionnisme de l'État est décrié par Cheick Tidiane Camara, président du cabinet Ectar : "Les gouvernements, particulièrement en Afrique de l'Ouest, considèrent un aéroport non comme un vecteur de croissance, mais comme une "vache à lait".
L'Afrique détient le triste record du niveau le plus élevé de taxes aéroportuaires de tous les continents, souvent le triple de ce que l'on peut voir en Europe ou en Asie. Les gouvernements cherchent aussi à limiter l'entrée de nouveaux trans porteurs pour protéger leur propre compagnie nationale, ce qui bride forcément la croissance aéroportuaire", dénonce-t-il.
Pourtant, il n'y a pas de fatalité. Francis Brangier, le directeur général d'Egis, qui gère les aéroports d'Abidjan, Brazzaville, Pointe-Noire et Libreville, croit à un modèle économique rentable pour des acteurs privés : "En Afrique, nous avons adopté avec succès, aussi bien au Gabon qu'en Côte d'Ivoire ou au Congo, un système de concession de longue durée, de vingt à trente ans, qui peut être rentable même en y intégrant de plus petits aéroports comme celui que nous gérons à Ollombo (à 400 km de Brazzaville).
Notre groupe monte une société concessionnaire qui prend les risques financiers et la responsabilité de la gestion de l'aéroport, y compris les responsabilités commerciales et techniques. Nous avons la garantie de retrouver nos investissements si nous sommes rentables sur cette période", explique-t-il.
Comme Egis, d'autres grands acteurs privés - le français ADP, le sud-africain Acsa ou le canadien SNC-Lavalin - s'intéressent aux aéroports du continent. Avec une prédilection pour les concessions ou certains modèles de BOT ("Build, Operate and Transfer"), qui leur garantissent de récupérer leur investissement avant de transférer le projet à une entreprise locale. Les partenariats public-privé (PPP) appuyés par les institutions financières internationales ne rencontrent pas beaucoup de succès.
"Il ne suffit pas d'avoir un bailleur, il faut surtout de bons professionnels. Or la planification et le suivi d'un projet en PPP restent pilotés par les États, ce qui rebute les acteurs privés", observe Elijah Chingosho.
Aérométropoles
Pour faire décoller les revenus et améliorer les performances des aéroports du continent, Egis a sa méthode : "Dans un premier temps, nous adaptons et unifions le management, améliorons la gestion financière et opérationnelle et lançons les investissements les plus utiles en matière d'infrastructures ou de systèmes d'information.
Cela suffit souvent pour dégager des bénéfices qui nous permettent d'investir progressivement. Nous étudions ensuite les pistes possibles pour développer le trafic - not amment avec la compagnie nationale -, et nous examinons le développement d'autres sources de revenus, comme les revenus commerciaux non aéronautiques", détaille Francis Brangier.
Selon Ali Tounsi, "pour doper la rentabilité, il faut prendre en compte le tourisme, mais aussi les sociétés de transport de fret, la maintenance, l'immobilier et - point crucial - le lien avec le centre-ville.
Chaque partie du modèle doit être adaptée aux réalités économiques locales : les aéroports kényans ont mis au point une chaîne logistique reliée aux grandes fermes du pays ; au Caire, le gestionnaire a parié sur de nouvelles galeries commerciales, et à Casablanca, c'est tout un pôle de maintenance aéronautique qui croît progressivement", ég rène-t-il.
À terme, c'est le concept d'"aérométropoles" (aerotropolis en anglais) - ensemble de projets urbains interconnectés formant un tissu économique irriguant toute la région - qui devrait s'implanter en Afrique. À l'image d'Ekurhuleni, qui aura pour centre névralgique l'actuel aéroport Tambo International de Johannesburg et sera érigé en deux décennies.
Blaise-Diagne toujours cloué au sol
Prévu à Ndiass, à 42 km au sud-est de Dakar, le nouvel aéroport de la capitale sénégalaise attend encore son heure - il devait voir le jour en 2011. "On a présenté le projet alors que les études du sol n'avaient même pas été réalisées. Or elles ont révélé que c e dernier est peu adapté à l'atterrissage des avions.
Du coup, le budget de construction a explosé", explique Ali Tounsi, du Conseil international des aéroports. Après l'élection de Macky Sall, le gouvernement semble revenu sur l'idée d'un transfert de la totalité des vols internationaux vers un nouveau site. "Ils vont plus probablement en déplacer une partie peu à peu.
La taille de l'infrastructure devrait être plus raisonnable que ce qui était initialement prévu", indique Ali Tounsi. L'ouverture des pistes est annoncée pour le début de l'année prochaine. C.L.B.
Article orginal par Christophe Le Bec
Catégorie: Transport