Réforme de la politique et du cadre réglementaire des infrastructures de transport en Afrique
31 octobre 2013
Source : Michael Jordan, Consultant
Il est notoire que les coûts du commerce - le transport et d'autres coûts du commerce à l'international - affectent énormément la capacité d'un pays à participer à l'économie mondiale. Lorsque les coûts sont relativement élevés, les producteurs nationaux sont moins compétitifs car il payent plus pour l'importation des intrants et gagnent moins à l'export. Voilà, en résumé, les défis clés auxquels est confrontée l'Afrique en raison du déficit d'infrastructures de transport. D'importantes réformes de politiques et du cadre réglementaire sont nécessaires pour relever ces défis.
Les coûts du transport en Afrique sont parmi les plus élevés au monde, - environ 20 % des coûts totaux des produits – ce qui explique pourquoi l'Afrique compte pour moins de 2,5 % dans le commerce mondial, et affiche le plus faible niveau de commerce inter-régional.
La montée des coûts s'opère tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Les frais de manutention du fret ont tendance à être plus élevés aux ports d'Afrique que dans plusieurs autres parties du monde. Les frais de manutention de conteneurs aux ports d'Afrique sont compris entre 100 et 300 dollars par conteneur, contre 80 à 150 dollars par conteneur ailleurs dans le monde. Ces frais élevés sont imputables aux déficiences techniques telles que l'absence de maintenance et aux déficiences institutionnelles au rang desquelles il y a la mauvaise planification et la faible régulation du monopole des prestataires de services. Les coûts du fret routier en Afrique sont également élevés en raison de l'absence de concurrence dans l'industrie du camionnage et des ententes de partage du marché par les camionneurs, surtout en Afrique centrale et occidentale.
Le coût du transport est directement lié à la durée du trajet. Une association de camionneurs s'est récemment rendue compte que ses membres avaient besoin de 15 jours en moyenne pour aller de Kolwezi en République démocratique du Congo à Durban en Afrique du Sud, et que la moitié de ce temps était passé aux postes frontaliers. Une autre étude de l'impact du temps sur les exportations de 44 pays d'Afrique sub-saharienne a révélé qu'en général, un jour gagné sur la durée du transport intérieur entraîne une augmentation de 7 % des exportations en général, et de 9 % pour les pays enclavés.
L'enclavement augmente considérablement les coûts du transport. Selon une enquête de Doing Business, le coût moyen du transport d'un conteneur par les exportateurs africains était de 1990 dollars en 2012, contre 1268 dollars en Amérique latine. Le coût pour de nombreux pays enclavés comme le Niger, le Rwanda et la Zambie était plus de 50 % plus élevé que la moyenne africaine.
La performance du secteur transport est entravée par de nombreux facteurs
De nombreux facteurs se conjuguent pour imposer des surcharges de coûts aux importateurs et exportateurs en Afrique, surtout dans les pays pauvres enclavés.
Comme l'a largement démontré le Diagnostic des infrastructures en Afrique (AICD), les réseaux de transport et de communication africains sont de loin moins développés que ceux d'autres régions du monde. La géographie contribue également à entraver le commerce : les marchés sont fragmentés et les frontières difficiles à franchir, ce qui empêche l'émergence des industries et chaînes d'approvisionnement intégrées au niveau régional. Cependant, les plus sérieuses difficultés sont administratives. Plusieurs études ont imputé les contraintes non pas à la qualité physique des infrastructures, mais aux structures du marché et à la faible réglementation des secteurs du transport routier, ferroviaire et portuaire. En outre, la connectivité entre les modes de transport est faible, surtout entre les ports et les routes, et entre les pays en raison de barrières non tarifaires et d'une administration inefficace des frontières.
Enfin, l'Afrique a probablement le pire bilan sécurité du monde dans tous les modes de transport. Le coût estimatif des accidents de la route représente à lui seul environ 1 % du PIB de l'Afrique du Sud et presque 5 % du PIB du Kenya et du Malawi. Ce bilan lamentable est essentiellement imputable aux faiblesses des institutions chargées des questions de sécurité et à une surveillance inadéquate.
Tous ces facteurs sont responsables de la hausse des charges et de la mauvaise qualité du transport et de la logistique en Afrique. Les coûts des producteurs africains demeureront élevés tant que les causes profondes des coûts élevés des transactions commerciales ne seront pas traitées.
Des réformes visant l'instauration d'un environnement propice sont indispensables pour espérer une amélioration du transport.
Il faut nécessairement un cadre réglementaire et institutionnel solide et transparent pour améliorer la performance des transporteurs et garantir une utilisation efficiente des infrastructures de transport.
Dans la plupart des pays africains, le cadre réglementaire et institutionnel du transport et du commerce ne sied pas à ces tâches. En général, les politiques nationales de transport ne traitent pas les problèmes fondamentaux auxquels fait face le secteur. Par exemple, elles saisissent mal la nécessité d'encourager la concurrence dans le marché des infrastructures de transport et des opérations, le but et la portée des contrôles réglementaires et des permis de fonctionnement, ou les rôles respectifs du gouvernement et du secteur privé en matière de développement des infrastructures de transport. En l'absence de politiques claires qui orientent les interventions des décideurs et les activités des opérateurs, tout pays est dépourvu de bases solides pour faire face aux pratiques anticoncurrentielles des opérateurs du secteur du transport et pour encourager les investisseurs privés.
Peu de pays africains se sont dotés d'agences de régulation du secteur des transports. Il existe donc un vide juridique qui fait le lit de pratiques anticoncurrentielles - telles que le refus d'accorder des autorisations aux camionneurs étrangers – et grâce auquel les agences peuvent imposer des taxes aux transporteurs sans se soucier de leur impact sur l'efficacité du secteur et les coûts. En revanche, les observateurs affirment que le Nigeria doit l'essentiel de son exemplaire opération de signature, avec des opérateurs privés, des accords de concession pour la gestion et de réhabilitation de 26 terminaux à conteneurs, aux réformes entreprises au niveau institutionnel. Ces réformes ont consisté, en effet, à définir le rôle du Ministère fédéral des transports en matière de définition de la politique du secteur et à créer de nouvelles autorités portuaires autonomes régionales pour en faire des « propriétaires » des ports.
Dans de nombreux pays et organisations régionales, la mise en œuvre des politiques et réglementations est sujette à caution et est incomplète. De manière plus spécifique, les pays n'ont souvent pas été capables d'adopter ou d'appliquer une législation locale nécessaire pour mettre en œuvre leurs engagements en vertu des accords régionaux de coopération. Ainsi, seuls quelques pays se sont totalement conformés aux dispositions de la Décision de Yamoussoukro de 1988 qui vise la libéralisation du transport aérien, ou l'on simplement ignorée en continuant d'appliquer les accords bilatéraux précédemment signés.
Faire appel à la participation privée
Les investisseurs et prestataires de services dans le domaine des infrastructures ont besoin de données du marché ainsi que de paramètres techniques et financiers qui les rassurent avant de prendre des engagements.
Le secteur du transport a attiré tout juste 23 % de l'ensemble des investissements en Afrique sub-saharienne, contre plus de 30 % en Asie et 29 % en Amérique latine. Même si la participation du secteur privé dans les terminaux à conteneur a connu un essor rapide depuis 2000, surtout dans les contrats de concession, le niveau des investissements du secteur privé dans le secteur portuaire africain demeure faible par rapport à d'autres régions.
Une étude récente faite par MIGA a découvert que la confrontation de la politique et des risques réglementaires peut permettre d'améliorer immédiatement le climat des affaires d'un pays en le rendant plus propice à l'investissement. La croissance rapide de l'investissement privé dans les infrastructures de communication en Afrique a entraîné la libéralisation de l'octroi de licences, qui a ouvert le marché à de nouveaux acteurs et favorisé l'adoption de la téléphonie mobile.
Perspective : plan d'un programme de réformes
Dans ce contexte, il ne fait aucun doute que la réforme de la politique et du système réglementaire est vitale pour rendre les infrastructures de transport plus efficaces. En outre, les changements apportés aux infrastructures « immatérielles » sont souvent bon marché par rapport aux investissements dans des actifs physiques. Par exemple, les changements dans les procédures administratives au poste frontalier de Malaba entre le Kenya et l'Ouganda (qui n'ont pas nécessité d'importantes dépenses en capitaux) ont aidé à réduire les durées des passages de plus de 48 heures à moins de 6 heures et permis aux transporteurs, commerçants et douaniers de réaliser des économies.
D'importants efforts sont faits par plusieurs communautés économiques régionales (CER) pour faciliter le commerce. Le Programme d’aide pour le commerce du corridor nord-sud lancé en 2009 en est un parfait exemple. Toutefois, des mesures de réforme des infrastructures « immatérielles » peuvent êtres difficiles à mettre en œuvre, surtout si les procédures de prise de décisions sont bilatérales ou multilatérales.
L'envergure et les priorités de l'agenda des réformes doit être adapté aux problématiques spécifiques et capacités de chaque pays à les mettre en œuvre ; néanmoins, l'approche générale devrait comporter des points communs.
Maîtriser les « fondamentaux » est essentiel pour qui veut faire une réforme sérieuse
Pour ce faire, il convient de :
- commencer par le sommet, en s'assurant que les politiques de transport des pays et communautés économiques régionales s'attaquent aux problématiques stratégiques clés pour l'amélioration de l'efficacité des opérations de transport et pour attirer la participation du secteur privé dans les projets d'infrastructure, y compris en définissant
- à quel point il convient d'encourager la concurrence (au sein et entre les modes de transport) ;
- l'envergure et l'objectif de la réglementation et des contrôles des permis qui devraient régir les infrastructures de transport et leur utilisation ;
- le rôle de la tarification, de la récupération des coûts et de l'imposition dans la stimulation de la concurrence entre les modes de transport ;
- les rôles respectifs du gouvernement et du secteur privé dans la fourniture des infrastructures et services de transport, surtout pour ce qui est du niveau d'adoption des partenariats public-privé ;
- les procédures à utiliser pour vérifier la mise en œuvre effective des stratégies et plans validés, y compris les engagements internationaux au sein des communautés régionales africaines.
- Définition de cadres réglementaires efficaces qui permettent de s'assurer que les prestataires de services se conforment aux paramètres de la politique de transport et respectent leurs obligations sociales, et atteinte de niveaux acceptables de performance financière. C'est dire que les organismes de régulation devraient disposer de prérogatives juridiques et de compétences institutionnelles leur permettant de satisfaire aux méta-principes de crédibilité, de légitimité et de transparence.
Le périmètre approprié des pouvoirs de réglementation et le niveau de pouvoir discrétionnaire devraient être rigoureusement définis dans les arsenaux politiques et juridiques de chaque pays, et être compatibles avec leur niveau d'engagement politique et les compétences disponibles. Cela peut se traduire par l'adoption d'un modèle de réglementation hybride qui sied au contexte national, et qui permet de signer des accords en dehors de certains pouvoirs de réglementation.
Les pays où il n'est pas possible de créer de nouvelles organisations doivent au moins veiller à ce que la responsabilité de la réglementation et des opérations de transport (ex. : ports et chemins de fer) incombent à des structures distinctes, surtout lorsque ces structures font partie d'un même ministère ou organisation, afin d'éviter de consacrer le monopole de prestataires de services inefficaces.
- Mise en œuvre et application des réglementations et engagements existants. Pour améliorer la conformité aux réglementations établies et réduire les obstacles procéduraux qui affectent le transport et le commerce, les pays doivent renforcer les mécanismes de rapport et de suivi, et sensibiliser davantage sur le niveau et l'impact désastreux des pratiques restrictives, de la corruption et des mauvaises normes de sécurité.
Accent sur le périmètre de l'intégration régionale
Les gouvernements africains et les CER devraient donner la priorité aux négociations en cours au niveau régional en vue de la création de zones de libre échange ou des unions douanières. Leur démarche doit être séquentielle plutôt que simultanée, et doit mettre l'accent sur les initiatives les plus prometteuses en termes de gains concrets, à travers la libéralisation du commerce et l'harmonisation des barrières non commerciales.
Les dirigeants africains ont pris de nombreux engagements politiques en faveur d'une plus forte intégration économique régionale, surtout à travers le Traité d'Abuja de 1991 dans lequel ils ont convenu de développer les zones de libre échange dans chaque CER, ces zones devant poser les jalons d'une union douanière continentale pour, en définitive, aboutir à une Communauté économique africaine à l'horizon 2028.
La négociation et la mise en œuvre d'accords commerciaux régionaux entre les CER s'est avéré un défi de taille. De nombreux facteurs ont nui au processus d'intégration, parmi lesquels le fait que certains pays étaient membres de plusieurs CER, les craintes de céder la souveraineté nationale à des organismes supranationaux ainsi que l'incapacité technique de nombreux pays membres à mener des négociations techniques sur les tarifs et l'harmonisation des barrières non tarifaires.
Dans certains cas, les CER ont à peine entamé le processus d'intégration. Dans d'autres cas, ce processus est rendu plus compliqué par le chevauchement des négociations qui impliquent différents CER. À titre d'exemple, la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) a, en 2005, entamé des négociations pour la mise sur place d'une union douanière entre ses membres à l'horizon 2010 ; pourtant, il n'est pas sûr que cet objectif soit atteint avant 2016. Dans le même temps, l'EAC est également impliquée, depuis 2011, dans des négociations pour la création d'une Zone de libre échange tripartite (TFTA) avec le COMESA et la SADC.
Cette approche multisectorielle pourrait être contreproductive. Premièrement, il est extrêmement difficile d'engager des négociations parallèles en vue de la création d'une zone de libre échange et d'une union douanière ; en effet, ces deux approches en matière de libéralisation du commerce entraînent des gains et pertes potentiels divergents. Par conséquent, les États qui s'y engagent ne sont disposés qu'à faire très peu de concessions. Deuxièmement, la charge administrative qu'exigent les négociations simultanées, qui pèse sur des organisations aux capacités et à l'expérience limitées, freine nécessairement l'évolution de l'ensemble du processus. Troisièmement, ce processus complexe et parallèle complique l'identification et l'évaluation des problématiques clés à porter à l'attention de hauts responsables politiques pour résolution.
Les gouvernements, prestataires de services et partenaires au développement doivent coopérer.
Les gouvernements, investisseurs et partenaires au développement ont tous un intérêt et un rôle à jouer dans la promotion des réformes de politiques et du cadre réglementaire en vue du développement durable des infrastructures de transport et d'une croissance économique accélérée.
Amélioration de la coordination entre donateurs
Les données de la filière de rapport du Direction de la coopération pour le développement (CAD) de l'OCDE indiquent que les agences d'aide au développement ont consacré presque 22 % de l'Aide publique au développement des infrastructures en Afrique à la mise sur pied d'un environnement propice. Ces agences aident au renforcement d'une gamme variée de capacités et des activités de construction d'institutions. Cependant, les données de l'OCDE signalent également une importante fragmentation de l'aide, et les agences d'aide au développement indiquent qu'elles sont confrontées à de nombreux défis : décalage entre les priorités nationales et régionales, absence de coordination - et incompétence - entre les ministères partenaires et les communautés régionales, inadéquation des systèmes nationaux.
En outre, le financement du développement et les programmes d'assistance technique liée aux transactions ne prennent souvent pas assez la mesure de la nécessité de créer un environnement propice aux réformes sectorielles.
Coopération avec le secteur privé et d'autres parties prenantes
La prise en compte de l'économie politique des réformes à travers la consultation des parties prenantes et la communication aide à réduire la résistance aux réformes. Toutefois, l'on pourrait faire plus pour encourager des consultations plus fréquentes avec les milieux d'affaires et associations de consommateurs dans le processus de définition de politiques et de suivi de leur impact. En outre, l'ICA pourrait faciliter le partage des bonnes pratiques réglementaires et du savoir-faire en mobilisant, par exemple, le réseau du Forum africain pour la réglementation des services publics (AFUR).
Catégorie: Transports